VEF Blog

Titre du blog : Semaine des enfants des pays du couchant.
Auteur : marhababienvenueshalom
Date de création : 19-04-2013
 
posté le 22-04-2013 à 15:02:57

LES GNAOUAS

 

On situe l’arrivée de la première génération des Gnaouas au Maroc aux alentours du XVIe siècle. Il s’agit pour la majorité d’entre eux d’esclaves, originaires de pays d’Afrique Subsaharienne (notamment Mali, Guinée, Sénégal, Ghana, Niger) constituant à l’époque l’empire du Soudan (tirant son nom du terme arabe « Assoudani », Noirs) également nommé Empire Songhaï.

 

 

 

C’est après l’expédition victorieuse du sultan Ahmed El Mansour (3e sultan de la dynastie saâdienne) à Tombouctou, surnommé alors El Dehbi (le doré) en référence à la grande quantité d’or qu’il y rapporta, que 12 000 esclaves auraient été emmenés vers le pays berbère des Haha, dans la région d’Essaouira.

Ces Gnaouas des pays berbères sont et continuent d’être appelés « gangas » du nom de leurs tambours. 

 

 

La deuxième génération de Ganouas est envoyée à Essaouira aux XVIIe et XVIIIe siècles respectivement par les sultans Moulay Ismail, grand sultan alaouite qui fit venir des esclaves originaires de Guinée pour sa garde personnelle, et le sultan Sidi Mohamed Ben Abdallah, fondateur de la ville actuelle d’Essaouira qui fit à son tour venir des esclaves pour la construction de la ville.

 

Cette deuxième génération de Ganouas se réclamait de Sidna Bilal, né en esclavage et premier muezzin de l’islam, et dont le nom a été donné au seul lieu sanctuarisé par les Ganouas du Maroc : la zaouïa Sidna Bilal d’Essaouira.

 

 

 

Tandis que la musique des gangas employait déjà les tambours et les qrâqeb, littéralement « les crotales », sortes de castagnettes en forme de huit, qui par analogie du bruit produit servira ensuite à désigner les serpents à sonnettes, la musique de la deuxième génération de ganouas s’enrichit du guembri.

 

Le guembri est un luth à trois cordes, considéré comme un dérivé du n’goni, instrument d’Afrique subsaharienne. Cet instrument joue un rôle central dans le rite de possession des Ganouas : la Lila de derdeba. 

 

 

 

La lila de derdeba : l’art sacralise le profane

 uie est la croyance aux esprits, les mlouk. Leur musique se présente dès lors comme un moyen de libérer les âmes possédées par ces esprits, les memlouk. Il n’est pas évident d’expliquer l’origine de ces croyances. S’agit-il de vieilles traditions païennes ou est-ce le résultat du syncrétisme des cultes animistes subsaharien et de l’islam, dont le Coran fait d’ailleurs référence aux djinns, les esprits, semblables aux mlouk ?

 

Dans la croyance populaire gnaouie, chaque melk (singulier de mlouk) se voit attribuer une couleur, (les blancs, les verts, les bleu-ciel, les bleu-foncés, les jaunes, les rouges et les noirs), une devise chantée et un encens particuliers.

 

A la nuit tombée, généralement à partir de minuit (lila signifie « nuit » en arabe dialectal), les musiciens Ganouas se réunissent afin de communiquer avec ces esprits et «d’exorciser » les personnes possédées. Autour d’un maâlem, littéralement un « Initié » maître musicien, dont le rôle est de mener la cérémonie du rituel, les musiciens se mettent en place pour les trois phases d’une Lila : l’aâda (la coutume), les koyyou (chants et danses de divertissement) et les mlouk (répertoire occulte entraînant l’entrée en transe des possédés).

 

 

 L’aâda est une procession riche en couleurs, qui n’est pas l’apanage des seuls Ganouas. Ce défilé de musiciens se retrouve dans une autre confrérie : les Issaouas. Contrairement aux premiers, la Confrérie Issaoua est une voie Soufie fondée à Meknès au XVIe siècle par « le Maître parfait » soufi Mohamed Ben Aissa.

 

En scandant le nom d’Allah au rythme des neffar (grande trompe à une seule note – le vuvuzela marocain), les Issaouas de Meknès préfigurent une entrée en transe. Cependant, alors que la transe des soufis relève davantage d’un état d’extase transportant ses initiés hors du monde sensible par l’intensité d’un sentiment mystique, la transe des memlouk dans la tradition gnaouie revêt des aspects thérapeutiques. Sur la scène de Dar Souiri, devant un public volontairement restreint, trois memlouk vibraient aux rythmes des invocations des Issaouas.

 

 

 La fusion des Issaouas de Meknès avec les Ganouas résonne ainsi comme l’infusion d’une dimension sacrée à un culte profane. En effet, la tradition gnaouie s’apparente en tous points au culte vaudou : fruits d’un syncrétisme de rites animistes africains et du rituel de la religion dominante.

 

La dimension « profane » de ces deux traditions est inscrite de manière indélébile dans leurs histoires marquées par l’esclavage. Et même si l’aâda se trouve sacralisée par les invocations des Issaouas, le caractère profane de la tradition gnaouie ressurgit lors de la 3e phase de la Lila, celle des mlouk.

 

Le maâlem se met alors à invoquer chaque melk, accompagné de son guembri et de qrâqeb. Ces esprits peuvent être des « saints » ayant réellement existé (Moulay Abdulkader Jilali, Bilal) ou des entités surnaturelles (Lala Mira, Sidi Hammou…). A l’évocation de la devise du melk, le memlouk possédé par l’esprit invoqué entre en transe. C’est alors que la chouwafa (en arabe dialectal « la voyante ») couvre le danseur en transe d’un voile de la couleur du melk l’habitant et brûle l’encens adapté à cet esprit.

 

 

La phase du mlouk a dans la tradition gnaouie, pour vocation de guérir les malades et d’agir ainsi, comme véritable cure. La Lila derdeba est considérée comme une initiation qui aurait pour point de départ la maladie car beaucoup de memlouk restent dans la confrérie et poursuivent leur initiation une fois l'équilibre retrouvé.

 

Le coup de maître du Festival Gnaoua et Musiques du monde d’Essaouira est véritablement celui de mettre à l’honneur toutes les traditions artistiques dont le Maroc a pu s’enrichir au cours de son histoire, en alliant les pratiques profanes aux pratiques sacrées. Le maître mot du festival semble d’ailleurs être celui du mysticisme, profane ou sacré, résonnant au milieu des remparts de la ville au son des crotales, du guembri et des neffar.

 

Jihane Bensouda