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Titre du blog : Semaine des enfants des pays du couchant.
Auteur : marhababienvenueshalom
Date de création : 19-04-2013
 
posté le 23-04-2013 à 11:24:21

Quand j’étais p’tit à Bab el Oued…

 
 

 
Quand j’étais p’tit à Bab el Oued… 
 
    "Si tu meurs avant moi je te tue."   
 
Né des principales langues du bassin méditerranéen : espagnol, italien, arabe, maltais, français provençal, etc., le parler pied-noir est en voie de disparition.
 
Dans cette langue s'exprime toute la richesse de ce parler drôle,
irrésistible et haut en couleur.
 

Bab el Oued, faubourg d'Alger, 80 000 ha, 
 
 Quand j’étais p’tit à Bab el Oued…

Longtemps avant la chcoumoune elle s’abatte sur nouz’aut,
y avait un quartier qui s’appelait Bab el Oued,
une rue qui s’appelait la rue Mazagran…

Quand j’étais p’tit à Bab el Oued, j’étais tellement mauvais dans la langue de Molière que ma mère, qu’elle était pleine de certitudes  sur mon avenir, qu’elle me faisait donner des leçons particulières de Français avec le seul intellectuel du quartier, un universitaire professionnel, d’un âge avancé, que les diplômes et les études, elles arrêtaient pas de le poursuivre.
 
En plus il était beau comme un dieu grec ou romain que Germaine
Réalé, la boulangère, elle s’le mangeait avec les yeux chaque fois
qui venaitacheter son pain.
 
A Bab el Oued dès que quelqu’un y parlait bien français, on disait tou’d’suit : « c’est un fils de famille »,  «  c’est des gens biens »,
à croire que tous lez’ autes c’était des bâtards ou z’avaient pas de famille ou encore qu’ on était des gens mauvais ou en tous cas pas biens ! 

Ce « cas particulier » que tout le monde y’s le considérait déjà comme un polytechnicien, en quequ’sorte, c’était une anomalie par rapport aux z’autes z’habitants du quartier. 
 
En plus, il avait un nom bien français qui n’avait rien de commun avec les z’autes patronymes pour la plupart judéo-arabo-napolitano-andalous et maltais. A l’époque les noms qui z’étaient français y z’impressionnaient toujours un peu et y  provoquaient toujours un léger complexe de supériorité que nous on avait pas ! 

Ce babao, y pouvait pas s’appeler comme tout l’monde, Ramos, Esposito, Chouraki ou Pappalardo !
Hé ben non, cuilà y s’appelait E…d’un nom aussi distingué que les élégantes
de Bab el Oued elles mettaient la bouche comme le cul d’une poule pour le prononcer.
(comme c’est une histoire véridique, j’peux pas écrire son nom à ce fartasse.)
 
Ses allures trop polies elles nous paraissaient suspectes et si on ne lui connaissait pas une jolie fiancée bien de chez nous, on l’aurait vite
catalogué dans une discipline que  à Bab el Oued c’était pas trop à la mode et que aujourd’hui on peut même plus dire le nom.
Comme il a dit le grand « hartail », vous m’avez compris !
 
Un jour, cet éminent étudiant à la noix, qui devait en avoir plein le bas du dos de moi, y l’envoya à ma mère un mot qui manqua s’évanouir en le lisant. ( pas le mot, ma mère) Ca disait plutôt   grosso que modo a peu près ça. « Mââdââme, il faudrait que vous vinssiez vous rendre compte
par vous-même du travail de votre fils,  pommade, salutations, etc…
en pur frangaoui dans le texte. 
 

Bo po po ! la purée ! comment c’est qui parlait celui là !

Y manquait plus qu’un peu de bougie rouge, comme  y avait

sur les boules de fromage de François Apicela, sur la lettre pour faire comme dans les trois mousquetaires quand il lui font le

coup de zouzguef à Milady.

 

Pour nous grands passionnés des classiques qui

passaient régulièrement au Trianon, au Majestic ou au Marignan,

c’était Louis XIV qui parlait La Pompadour…Sacha Guitry dans

« Si Versailles m’était conté », que ma grand-mère elle en

ratait pas une, y parlait un peu comme ça !

 

Comme en rentrant à la maison j’avais montré à tous les commerçants du quartier qui m’avaient vu naître cette saloprie de lettre et que chez nous tout y l’était prétexte à la rigolade, la nouvelle elle se

répandit plus vite que le téléphone arabe et d’un coup tout

le quartier y se mit à employer des locutions et des subjonctifs

que les plus imparfaits y z’étaient  ponctués de gros éclats de rires.

 

Cette missive à domicile elle impressionna beaucoup ma mère qui n’était pas insensible à la belle littérature et au jour J  , endimanchée comme pour aller à la fête des rameaux  chez le père Streicher de St Vincent de Paul, elle se présenta chez  ce louette de précepteur.

 

Aie Manman !...Avec des mots choisis et très compréhensibles ce falso de beau parleur, il a expliqué à ma mère que j’étais ni Einstein, ni Albert Albert Camus, que j’étais le roi des cagnélos.

Et patati et patata que moi je savais plus ou me mettre. 

 

Tout ça qui l’a dit, y avait que moi qui le savait   déjà depuis longtemps.

Moi j’avais pas inventé la poudre, mais lui ce fartasse il avait pas inventé la diplomatie !

 

A partir de ce jour où il m’a fait perdre la figure, y pouvait plus traverser le quartier sans déclancher de gros éclats de rires, même Germaine, quand y venait acheter son pain, elle  lui tournait la tête.

Je ne savais pas à cette époque que ce mauvais sentiment

s’appelait de la rancune et que cette  brave encyclopédie vivante,

bien avant la grande Zorha, y m’avait appris ce que c’est la rabbia contre quelqu’un.

 

La vie elle continuait de s’agiter allègrement jusqu’au jour où une bande d’abrutis y z’ont décidé de faire la révolution.

 

Un jour que ma mère elle m’a toujours pris pour le commissionnaire

de la maison elle me demande d’aller chez Monsieur Fernand

acheter un litre ou un kilo de peinture rouge au détail pour

repeindre comme chaque année les pots de fleurs du balcon.

 

En dessous du rez de chaussée de Mme Ramos, monsieur Fernand, qui était le concurrent direct de Monsieur Narcisseau ( la casquette en moins), il tenait une sorte de cave qui lui servait de magasin et où il fallait rentrer en se pliant en quatre.

Il se trouvait exactement à l’angle de la rue Mazagran et de la rue Rochambeau juste en face de l’école.

 

 

 

 

Avec sa gentillesse habituelle Fernand y me donne un kilo ou

un litre, manarhaf, de sa meilleure peinture rouge, en

 vrac s’il vous plait, et je repars un pot dans un main et un

pinceau dans l’autre.

 

De tout p’tit, les arts en plastic y m’ont toujours plu et en rentrant dans le hall d’entrée que chez nous on appelait la cage d’escalier, une pulsion artistique soudaine elle me fait donner un coup de pinceau  figurativement  sanguinolent sur le mur juste en face de la porte de service du four du boulanger.

Oubliant cet épisode pictural j’allais aider ma mère à repeindre

ses pots et accidentellement les voitures de Monsieur Lévy,

le tôlier du dessous que comme elle dirait ma grand-mère 

« que Dieu y repose son âme. »

 

Monsieur Lévy je l’aimais bien, il aurait pu être un personnage

de Marcel PagnoL si ce célèbre écrivain y l’avait plus aimé

l’anisette que le pastis. Grand buveur d’anisette, il se rendait plusieurs fois par jour chez Monsieur Camps de la rue Cadix, satisfaire ses envies. Monsieur Henri comme on aimait l’appeler me rendait bien cet amour presque  paternel  car depuis mes premiers pas jusqu’à l’âge

de 14 ou 15 ans, je lui avait fais pipi dessus une pagaille de fois,

balancé mes jouets, mes ballons, mes patins à roulettes pour finir le plus souvent dans son atelier d’où je ressortais dans des tenue d’apprentis qui faisaient bondir ma mère et qui le rendait fou de joie. 

 

 

 

Revenons à notre saloprie de peinture. Une heure après les faits, un tumulte, une barouffa, un tchicklala du tonnerre y  résonnait dans l’entrée de l’immeuble. De nombreux locataires y tentaient d’analyser et d’interpréter avec le plus grand sérieux mon œuvre

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artistique de plus en plus sanguinolente et qui selon les dramaturges du quartier qui z ‘étaient beaucoup plus nombreux chez nous qu’à la comédie française, y z’avaient décidé que cela ne pouvait être qu’une condamnation à mort du FLN.

 

En 1954 ou 55, les premiers attentats dans les rues d’Alger et de Bab el Oued y z’avaient marqué les esprits.

On sentait monter la rabbia que les plus patriotes y z’ont toujours gardé. Notre quartier y l’avait pas été épargné  mais ces premiers troubles qu’ y z’étaient que de l’opérette à côté  de ce qu’on allait connaître, y commençait à réveiller des sentiments qu’on aurait mieux fait d’ignorer.

 

Ma mère qu’elle connaissait mes dons artistiques, elle alla vite rassurer tous ces braves gens que le bâtard qui avait fait peur à tout le monde y l’avait déjà pris une calbote.

 

La vie à Bab el Oued elle avait en permanence de quoi alimenter les soirées, les veillées comme y disent les français que chez nous la veillée c’est uniquement pour les morts. Sauf que chez nous les veillées, pas celles où on pleure, cella qu’on rigole, on s’les faisait sur les terrasses, les balcons ou devant la porte.
Les jours de fêtes, l’un d’entre nous allait chercher des glaces chez Grosoli, pendant le Ramadan c’était la fête des makroud et des zlabias et le temps s’écoulait comme ça jusqu’à quand y z’ont commencé la rébellion.
 
Une rébellion où les terroristes y z’avaient plus peur que les victimes. Allez sa’oir pourquoi ! Depuis leur connerie de révolution elle est pas encore finie et nous parce qu’on nous a fait croire qu’on était
des purs français, au lieu de tout faire pour rester chez nous, on a fait tout le contraire de ce qu’il fallait pour permettre à ce grand bâtard de De Gaulle de nous jouer le plus grand tour de couillon du siècle.

 

La suite vous la connaissez, et comme elles disaient mémé, Rhaïb, on n’est parti une main devant, une main derrière. De Gaulle , ce grand  coulo de soldat d’opérette  il a remporté une éclatante victoire sur sa propre armée qu’il a décimé de la tête aux pieds.

Ce grand diplomate visionnaire y s’est fait niqué l’sahara, il a mis dans la merde un bon tiers des populations que les combattants

de la dernière heure y z’ont taillé en pièce et il a légué à la

France un héritage que nous finalement on aime bien.

Les arabes.

 

 

 

Quand à nous, il nous restait plus qu’à partir et à nous installer dans une bulle nostalgique   que d’abord les pathos y z’ont pas compris, et puis chouïa chouïa les arabes y sont arrivés en masse, peut être   venaient ils nous rechercher car la vie sans nous c’était peut être pas

si vivable que ça ! Mais devant notre insistance à vouloir rester dans l’hexagone y z’ont fait comme nous et y z’ont plus voulu repartir.

 

Depuis y se passe pas un jour si on pense pas à notre Algérie. Chaque fois qu’un arabe y rencontre un pieds noirs, eh bien c’est fantastique et même si on ne se dit pas encore tout , on s’en dit beaucoup plus qu’avec les frangaouis. Et dans leur cœur d’exilés comme dans le notre,

c’est un peu comme un feu d’artifice !

 

 Cinquante ans après, y voudraient qu’on retourne…y

faudrait pas qui le répète trop souvent  car à regarder la France de si près, y se peut que l’exode elle recommencedans l’aute sens.

 

 

 

Mais ça c’est une aute histoire que je vous réserve pour plus tard.

Retourner à la pêche avec Mustapha, aller faire le marché à Bab el Oued, descendre à la pêcherie chercher des crevettes… Regarder les hirondelles dans le ciel de Nelson…

Allez, on va commencer à  pleurer sur not sort… et comme y disent les juifs, l’année prochaine à Jérusalem, nous on  s’ le pense  même si par pudeur on s’le dit pas,  l’année prochaine à Alger….

 

Inch’allah.