Bo po po ! la purée ! comment c’est qui parlait celui là !
Y manquait plus qu’un peu de bougie rouge, comme y avait
sur les boules de fromage de François Apicela, sur la lettre pour faire comme dans les trois mousquetaires quand il lui font le
coup de zouzguef à Milady.
Pour nous grands passionnés des classiques qui
passaient régulièrement au Trianon, au Majestic ou au Marignan,
c’était Louis XIV qui parlait La Pompadour…Sacha Guitry dans
« Si Versailles m’était conté », que ma grand-mère elle en
ratait pas une, y parlait un peu comme ça !
Comme en rentrant à la maison j’avais montré à tous les commerçants du quartier qui m’avaient vu naître cette saloprie de lettre et que chez nous tout y l’était prétexte à la rigolade, la nouvelle elle se
répandit plus vite que le téléphone arabe et d’un coup tout
le quartier y se mit à employer des locutions et des subjonctifs
que les plus imparfaits y z’étaient ponctués de gros éclats de rires.
Cette missive à domicile elle impressionna beaucoup ma mère qui n’était pas insensible à la belle littérature et au jour J , endimanchée comme pour aller à la fête des rameaux chez le père Streicher de St Vincent de Paul, elle se présenta chez ce louette de précepteur.
Aie Manman !...Avec des mots choisis et très compréhensibles ce falso de beau parleur, il a expliqué à ma mère que j’étais ni Einstein, ni Albert Albert Camus, que j’étais le roi des cagnélos.
Et patati et patata que moi je savais plus ou me mettre.
Tout ça qui l’a dit, y avait que moi qui le savait déjà depuis longtemps.
Moi j’avais pas inventé la poudre, mais lui ce fartasse il avait pas inventé la diplomatie !
A partir de ce jour où il m’a fait perdre la figure, y pouvait plus traverser le quartier sans déclancher de gros éclats de rires, même Germaine, quand y venait acheter son pain, elle lui tournait la tête.
Je ne savais pas à cette époque que ce mauvais sentiment
s’appelait de la rancune et que cette brave encyclopédie vivante,
bien avant la grande Zorha, y m’avait appris ce que c’est la rabbia contre quelqu’un.
La vie elle continuait de s’agiter allègrement jusqu’au jour où une bande d’abrutis y z’ont décidé de faire la révolution.
Un jour que ma mère elle m’a toujours pris pour le commissionnaire
de la maison elle me demande d’aller chez Monsieur Fernand
acheter un litre ou un kilo de peinture rouge au détail pour
repeindre comme chaque année les pots de fleurs du balcon.
En dessous du rez de chaussée de Mme Ramos, monsieur Fernand, qui était le concurrent direct de Monsieur Narcisseau ( la casquette en moins), il tenait une sorte de cave qui lui servait de magasin et où il fallait rentrer en se pliant en quatre.
Il se trouvait exactement à l’angle de la rue Mazagran et de la rue Rochambeau juste en face de l’école.
Avec sa gentillesse habituelle Fernand y me donne un kilo ou
un litre, manarhaf, de sa meilleure peinture rouge, en
vrac s’il vous plait, et je repars un pot dans un main et un
pinceau dans l’autre.
De tout p’tit, les arts en plastic y m’ont toujours plu et en rentrant dans le hall d’entrée que chez nous on appelait la cage d’escalier, une pulsion artistique soudaine elle me fait donner un coup de pinceau figurativement sanguinolent sur le mur juste en face de la porte de service du four du boulanger.
Oubliant cet épisode pictural j’allais aider ma mère à repeindre
ses pots et accidentellement les voitures de Monsieur Lévy,
le tôlier du dessous que comme elle dirait ma grand-mère
« que Dieu y repose son âme. »
Monsieur Lévy je l’aimais bien, il aurait pu être un personnage
de Marcel PagnoL si ce célèbre écrivain y l’avait plus aimé
l’anisette que le pastis. Grand buveur d’anisette, il se rendait plusieurs fois par jour chez Monsieur Camps de la rue Cadix, satisfaire ses envies. Monsieur Henri comme on aimait l’appeler me rendait bien cet amour presque paternel car depuis mes premiers pas jusqu’à l’âge
de 14 ou 15 ans, je lui avait fais pipi dessus une pagaille de fois,
balancé mes jouets, mes ballons, mes patins à roulettes pour finir le plus souvent dans son atelier d’où je ressortais dans des tenue d’apprentis qui faisaient bondir ma mère et qui le rendait fou de joie.
Revenons à notre saloprie de peinture. Une heure après les faits, un tumulte, une barouffa, un tchicklala du tonnerre y résonnait dans l’entrée de l’immeuble. De nombreux locataires y tentaient d’analyser et d’interpréter avec le plus grand sérieux mon œuvre
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artistique de plus en plus sanguinolente et qui selon les dramaturges du quartier qui z ‘étaient beaucoup plus nombreux chez nous qu’à la comédie française, y z’avaient décidé que cela ne pouvait être qu’une condamnation à mort du FLN.
En 1954 ou 55, les premiers attentats dans les rues d’Alger et de Bab el Oued y z’avaient marqué les esprits.
On sentait monter la rabbia que les plus patriotes y z’ont toujours gardé. Notre quartier y l’avait pas été épargné mais ces premiers troubles qu’ y z’étaient que de l’opérette à côté de ce qu’on allait connaître, y commençait à réveiller des sentiments qu’on aurait mieux fait d’ignorer.
Ma mère qu’elle connaissait mes dons artistiques, elle alla vite rassurer tous ces braves gens que le bâtard qui avait fait peur à tout le monde y l’avait déjà pris une calbote.
La suite vous la connaissez, et comme elles disaient mémé, Rhaïb, on n’est parti une main devant, une main derrière. De Gaulle , ce grand coulo de soldat d’opérette il a remporté une éclatante victoire sur sa propre armée qu’il a décimé de la tête aux pieds.
Ce grand diplomate visionnaire y s’est fait niqué l’sahara, il a mis dans la merde un bon tiers des populations que les combattants
de la dernière heure y z’ont taillé en pièce et il a légué à la
France un héritage que nous finalement on aime bien.
Les arabes.
Quand à nous, il nous restait plus qu’à partir et à nous installer dans une bulle nostalgique que d’abord les pathos y z’ont pas compris, et puis chouïa chouïa les arabes y sont arrivés en masse, peut être venaient ils nous rechercher car la vie sans nous c’était peut être pas
si vivable que ça ! Mais devant notre insistance à vouloir rester dans l’hexagone y z’ont fait comme nous et y z’ont plus voulu repartir.
Depuis y se passe pas un jour si on pense pas à notre Algérie. Chaque fois qu’un arabe y rencontre un pieds noirs, eh bien c’est fantastique et même si on ne se dit pas encore tout , on s’en dit beaucoup plus qu’avec les frangaouis. Et dans leur cœur d’exilés comme dans le notre,
c’est un peu comme un feu d’artifice !
Cinquante ans après, y voudraient qu’on retourne…y
faudrait pas qui le répète trop souvent car à regarder la France de si près, y se peut que l’exode elle recommencedans l’aute sens.
Mais ça c’est une aute histoire que je vous réserve pour plus tard.
Retourner à la pêche avec Mustapha, aller faire le marché à Bab el Oued, descendre à la pêcherie chercher des crevettes… Regarder les hirondelles dans le ciel de Nelson…
Allez, on va commencer à pleurer sur not sort… et comme y disent les juifs, l’année prochaine à Jérusalem, nous on s’ le pense même si par pudeur on s’le dit pas, l’année prochaine à Alger….
Inch’allah.